L’étude sur les médicaments opioïdes antalgiques (EMOA) de l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT) interroge leur prescription en médecine générale et les vécus de personnes qui se considèrent en difficulté avec ceux-ci dans le cadre du traitement de la douleur chronique non liée au cancer en France. Fondée principalement sur des entretiens approfondis menés auprès de 23 médecins généralistes et 25 patients, elle analyse, d’une part, les pratiques de prescription, en interrogeant la décision de prescrire (et de déprescrire) des médicaments opioïdes antalgiques (MOA) et, d’autre part, des parcours de médication des patients, en interrogeant la place de ces médicaments dans leurs parcours de vie et de santé.
Cette recherche analyse les difficultés rencontrées par les médecins dans le processus de prescription (et notamment d’arrêter ou de continuer lorsqu’ils ne sont pas à l’origine de l’initiation), et celles liées à l’usage prolongé, régulier ou récurrent, par les patients. Dans la première partie, l’étude analyse l’existence de trois positionnements différenciés des
médecins généralistes en ce qui concerne la prise en charge des situations impliquant un opioïde antalgique qu’ils et elles identifient comme problématiques.
Ces positionnements sont profondément liés au contexte organisationnel d’exercice des médecins :
– Premièrement, une « internalisation » des problèmes avec les MOA, quand les professionnels s’engagent en équipe interdisciplinaire et peuvent mobiliser les ressources et les moyens pour les prendre en charge sur place (notamment en MSP).
– Ensuite, une « externalisation » des problèmes avec les MOA, lorsqu’une orientation vers des collègues jugés plus compétents est choisie (positionnement adoptée généralement par des professionnels travaillant en cabinets libéraux de manière isolée).
– Enfin, une « minimisation » des problèmes avec les MOA (et notamment de leur gravité), lorsque les cas de dépendance ou d’addiction (deux termes qu’ils et elles utilisent sans distinction) sont adressés aux spécialistes de la douleur de manière exclusive (positionnement qui englobe de jeunes diplômés exerçant en centres de santé et des professionnels en fin de carrière ayant exercé principalement en cabinet individuel).
Dans la deuxième partie, l’étude examine les parcours de médication des patients en se focalisant sur deux de leurs demandes particulières : d’un côté, un besoin de soulagement de la souffrance qui accompagne la douleur ; de l’autre, un besoin accru en soins coordonnés. Si un MOA est initialement introduit pour soulager une douleur, la prise se maintient le plus souvent parce qu’elle permet de continuer à répondre aux rôles et aux exigences professionnelles et familiales. Ces patients en difficulté avec leurs traitements sont souvent des femmes qui présentent des cas complexes de chronicisation de la douleur (dans le cadre de comorbidités), résidant en zones rurales et semirurales – qualifiées de « déserts médicaux » –, où ils et elles expérimentent une relation distante avec leurs médecins traitants, caractérisée par l’absence d’échange, d’évaluation ou de surveillance
thérapeutique.
L’étude montre que les difficultés associées aux pratiques de prescription s’expliquent en tenant compte de l’engagement des médecins généralistes dans la prise en charge d’une dépendance ou d’une addiction médicamenteuse. Elle montre aussi et surtout que la principale difficulté que rencontrent les médecins est due au partage de responsabilités avec d’autres acteurs de la prise en charge. Les difficultés de coopération entre les acteurs du système des soins ont également des effets d’éclatement des parcours de vie et de santé des patients.