En 2019, le bilan du suivi national d’addictovigilance sur la prégabaline (période 2014-2018) mettait en évidence une augmentation du nombre de cas d’usage problématique avec ce médicament, avec des cas d’abus en contexte de polyconsommation, de recherche d’effets récréatifs ou de « défonce », escalade des doses, de difficultés à arrêter…
Dans les outils des CEIP-A, il était observé : une nette augmentation des ordonnances suspectes en 2018 (enquête OSIAP) et des décès imputables à la prégabaline (identifiés entre 2014 et 2016, 2 dans DRAMES et 4 dans DTA ; à noter que la prégabaline était rarement recherchée sur ces périodes). Une augmentation récente très marquée pour tous les aspects de mésusage était également observée en termes de trafic de rue souligné par l’apparition depuis 2018 de la prégabaline dans les saisies de police, de gendarmerie et des douanes.
L’actualisation des données au 31 décembre 2019 a permis de mettre en évidence les éléments nouveaux /marquants suivants :
L’ampleur du potentiel d’abus de la prégabaline se traduisant désormais par des complications liées à l’abus est dorénavant bien visible en France sur de nombreux indicateurs sanitaires (prise en charge hospitalières, produit ayant entrainé une dépendance, demande de soins spécialisés, responsables de décès).
- La consommation de ce médicament est à l’origine de complications cliniques aigues graves, dont des décès, essentiellement en contexte de polyconsommation mais pas uniquement puisque des dommages sont désormais aussi rapportés lors d’usage de la prégabaline seule (cas de troubles de la conscience, convulsion et hypoglycémie ayant nécessité une prise en charge hospitalière rapportés en 2019 avec la prégabaline seule, et un cas de décès DTA de 2014 implique la prégabaline seule).
- La mise en évidence de dépendance primaire à la prégabaline retrouvées à la fois dans les outils du réseau (NotS et enquête OPPIDUM) et dans l’étude de cohorte sur l’EGB de Driot vient diversifier la typologie des abuseurs de prégabaline montrant ainsi que les sujets connus pour des antécédents d’abus/dépendance ne sont pas les seuls concernés par cette problématique d’usage.
- Deux autres typologies d’abuseurs de prégabaline précédemment identifiées sont d’ampleur plus importante en 2019 : celles des sujets vus en détention/centre de rétention administrative ou gardés à vue et celle des sujets mineurs.
- Les données collectées par le réseau pendant la période de confinement/déconfinement (SIMAD CONF) ont révélé une poursuite de la problématique d’abus de la prégabaline avec des cas cliniques d’abus et d’addiction.
- La recherche ciblée de la prégabaline dans les décès d’origine toxique a très certainement permis d’identifier l’implication de la prégabaline dans ces décès. Elle permet d’améliorer les connaissances sur les effets de ce médicament psychoactif et de son implication potentielle sur le risque de dépression respiratoire opioïde. La recherche ou le dosage en routine clinique est encore peu répandu et aiderait à documenter les cas.
En cohérence avec ces données globales, les propositions sont les suivantes :
1. Le risque de mésusage et d’abus (usage nocif responsable de complications) de prégabaline concerne les sujets avec ou sans antécédent d’abus. Ces données ont déjà été identifiées dans le précédent rapport et sont confirmées/amplifiées en 2019. La prégabaline est sur liste I (prescription de 28 jours renouvelable 11 fois) et certains conditionnements sont très importants quelle que soit la dose unitaire (56 gélules pour les dosages à 25mg et 56 gélules pour les dosages à 300 mg). Le rapporteur propose de :
- Limiter la durée maximale de prescription à 28 jours (donc visite médicale mensuelle nécessaire pour un renouvellement d’ordonnance)
Ou, - Limiter la durée maximale de prescription à 12 semaines (par exemple) : à savoir prescription de 28 jours renouvelable 2 fois, soit visite médicale nécessaire tous les 3 mois pour un renouvellement d’ordonnance.
2. La confirmation de cas de dépendance primaire à la prégabaline nécessite d’informer les professionnels de santé d’une vigilance accrue chez tout patient sous prégabaline y compris sans antécédent d’abus. Le format pourrait être celui d’une plaquette réalisée et diffusée par le réseau (sur la modèle des bulletins de l’association), mais les modalités de cette communication pourront être définies plus précisément (notamment à l’issue des échanges lors du comité permanent des stupéfiants psychotropes et addictions, et conjointement avec les sociétés savantes et ordres) afin de trouver le ou les meilleurs vecteurs.
3. Dans le contexte global de mésusage et d’abus des gabapentinoïdes, et parce qu’elle occupe dorénavant une place de première ligne dans le traitement de la douleur neuropathique, il faudrait surveiller de façon renforcée la gabapentine. Les données sur le potentiel d’abus de la gabapentine ont été largement explorées dans les rapports d’enquête de la prégabaline (littérature internationale, outils d’addictovigilance OPPIDUM et OSIAP, etc) et suggèrent un risque d’abus similaire à celui de la prégabaline ; le rapporteur propose d’ouvrir une enquête d’addictovigilance sur le potentiel d’abus de la gabapentine.
4. Maintenir la surveillance de la prégabaline. Les données sur la gabapentine et la prégabaline auraient tout intérêt à être traitées conjointement/comparativement (comme actuellement proposé dans les rapports d’enquête de la prégabaline) dans une enquête globale sur les gabapentinoïdes.
- Les risques entrainés par l’utilisation non conforme de la prégabaline (2023)
- Abus et mésusage de prégabaline : enquête auprès des patients (2021)
- Profil des consommateurs de la prégabaline au sein des structures spécialisées en addictologie : résultats nationaux de l’enquête OPPIDUM de 2008 à 2022 (2023)
- Abus et mésusage de prégabaline : enquête auprès des patients
- La prégabaline en association aux opioïdes ou benzodiazépines et substances apparentées (2022)