INTRODUCTION : La prévention du tabagisme est un enjeu majeur de santé publique en France. En augmentation depuis 2008, la consommation quotidienne concerne un jeune de 17 ans sur trois en 2014. L’entrée au lycée est une période importante de l’expérimentation tabagique, durant laquelle nombre de jeunes deviendront des fumeurs réguliers, au risque de développer une dépendance et de rentrer dans une dynamique de consommation sur la vie entière. Ce constat est particulièrement alarmant chez les lycéens professionnels de la région Languedoc-Roussillon. De nombreux facteurs de risques sont à l’origine de ce phénomène et plusieurs modèles psychosociaux du comportement ont été proposés pour les synthétiser. Parmi ceux-là, la théorie du comportement planifié (TPB) a prouvé maintes fois son efficacité dans la détermination des comportements de santé. Pourtant, elle a rarement été appliquée de façon complète, et d’autant moins pour expliquer le tabagisme d’adolescents. Ce modèle représente également un cadre parcimonieux en tant que base d’élaboration d’interventions qui viseraient à prévenir l’expérimentation du tabagisme. Pour concevoir et mettre en place de telles actions, il semble pertinent de faire appel à ceux qui comprennent le mieux ces jeunes et qui sont leur principale source d’influence : leurs pairs.
OBJECTIF : Notre travail a donc consisté à étudier le rôle que peut jouer la TPB dans ce contexte, que ce soit pour expliquer l’évolution du tabagisme ou pour le prévenir.
MATERIEL ET METHODE : Un essai randomisé contrôlé en clusters a été réalisé auprès de 1573 élèves (filles = 34,6%, Mâge = 16,25, ETâge = 0,81) inscrits en classe de 2nde professionnelle ou de 1ère année de CAP, au sein de 15 établissements de la région Languedoc Roussillon. Dans le bras interventionnel, des jeunes pairs volontaires de chaque lycée ont conçu et mené des actions basées sur la TPB, au sein de leur propre établissement. Un auto-questionnaire en ligne a été rempli par tous les sujets inclus dans l’essai, avant le début de l’intervention, puis 5 mois plus tard, à la fin de l’intervention et après 6 mois de plus, au début de l’année scolaire suivante. Nous avons évalué les comportements tabagiques et les différents construits de la TPB (les croyances comportementales, normatives et de contrôle, les attitudes, les normes subjectives, le contrôle perçu et les intentions) à tous les temps. Nous avons également noté à postériori le niveau d’implémentation théorique des actions menées. Le modèle de la TPB basé sur les attitudes, les normes subjectives et le contrôle perçu s’ajuste bien aux données longitudinales du groupe contrôle. Les attitudes et le contrôle perçu sont associés aux intentions et ces dernières, ainsi que la perception de contrôle, expliquent le niveau de tabagisme 5 mois plus tard.
RESULTATS : Les normes subjectives ne montrent pas d’association aux intentions. Le modèle s’ajuste différemment entre les lycéens, selon qu’ils étaient non fumeurs ou fumeurs au début de l’étude. Les comportements de ces derniers sont mieux expliqués et le poids du contrôle perçu y est plus important qu’auprès des non-fumeurs. Par contre, le modèle complet intégrant les différentes croyances s’ajuste moins bien auprès de l’ensemble du groupe contrôle et n’apporte pas de plus-value explicative. Le programme P2P a permis d’éviter une augmentation du tabagisme quotidien de 6,5 points de prévalence à la fin de l’intervention. Celle-ci n’a toutefois démontré aucun effet sur les différentes variables de la TPB. L’efficacité du programme est plus élevée auprès des fumeurs et peut en partie être expliquée par le niveau d’implémentation théorique des actions. Un fort niveau d’implémentation accroît l’impact de l’intervention, principalement auprès des fumeurs et semble également renforcer les normes subjectives défavorables au tabac de ces derniers.
CONCLUSION : Notre étude démontre l’intérêt de la TPB pour expliquer le tabagisme des jeunes, ainsi que pour élaborer des interventions efficaces afin de prévenir la progression du tabagisme. Néanmoins, il ressort que ces résultats sont différents entre fumeurs et non-fumeurs et que la TPB ne permet pas d’expliquer le processus de changement des comportements. En revanche, le niveau d’implémentation théorique démontre un effet dans l’efficacité des actions qui devra être confirmé par d’autres études et dont il convient de tenir compte dans de futures interventions.