Les sorties du tabagisme, un état de la littérature en sciences sociales - OFDT (2023)


Cette revue de littérature en sciences sociales sur les trajectoires de sortie du tabagisme propose dans un premier temps de rendre compte des enquêtes qui s’intéressent aux méthodes d’aide à l’arrêt et aux professionnels de l’accompagnement au sevrage. La seconde partie du document traite des études qui analysent le poids des variables socioéconomiques sur le maintien du tabagisme et/ ou le sevrage.

Dans la première partie, les travaux disponibles indiquent que la majorité des fumeurs font le choix d’arrêter de fumer spontanément et sans assistance malgré l’existence de nombreux dispositifs et méthodes d’accompagnement. Pourtant, une minorité d’études portent sur le sevrage autonome et sur ses trajectoires associées. Elles révèlent que les usagers accordent une valeur symbolique très élevée à ce mode d’arrêt et que la norme d’abstinence après l’arrêt est également valorisée.

Bien que l’efficacité de l’accompagnement par des professionnels de santé et la prise de traitements nicotiniques de substitution (TNS) sont scientifiquement prouvées, recommandées et rendues plus accessibles, en particulier en France, les fumeurs avancent plusieurs freins à l’utilisation de ces traitements : leur coût ou leur perception, des effets indésirables et d’autres représentations négatives associées limitent le recours aux TNS. En outre, certains fumeurs qui présentent un attachement aux gestes du tabagisme considèrent que leur dépendance est psychologique plutôt que physique, ce qui constitue un frein supplémentaire. Certains expriment également des préoccupations quant à l’efficacité des traitements, craignant que ces derniers puissent retarder le sevrage ou créer une nouvelle dépendance. S’agissant des éléments facilitateurs, le soutien social de l’entourage ainsi que les rétributions sociales associées à l’arrêt du tabac sont des facteurs importants pour la décision d’arrêt du tabac. Dans le même sens, les cigarettes électroniques (ou e-cigarettes) ont suscité un intérêt croissant en tant qu’outil d’accompagnement à l’arrêt depuis leur apparition sur le marché. Toutefois, en France, les pouvoir publics sont dans un entre-deux à l’égard de cet objet, ne le reconnaissant pas formellement comme une aide au sevrage, mais ne l’interdisant pas non plus. Les différents travaux menés sur son usage mettent en évidence les motivations des utilisateurs, son efficacité pour le sevrage tabagique et la diversité des facteurs socioculturels qui influencent les pratiques de vapotage. Ils abordent également l’influence du genre et de l’âge sur son usage parfois dual (tabac et e-cigarette) ainsi que les représentations ou postures vis-à-vis de l’objet.

En matière d’accompagnement à l’arrêt, la littérature montre qu’en France les médecins généralistes jouent un rôle clé tant dans le suivi que dans l’orientation vers des tabacologues. Ils abordent régulièrement la question du sevrage avec leurs patients les plus à risque, présentent le panel des aides disponibles (incluant la cigarette électronique), mais prescrivent majoritairement des TNS en première intention suivant les recommandations de la Haute Autorité de santé. Les pharmaciens d’officine jouent également un rôle dans cet accompagnement. Ils délivrent des substituts nicotiniques, mais proposent aussi des conseils et/ou des tests d’évaluation rapide du niveau de dépendance tabagique. Les connaissances sur leurs pratiques professionnelles restent cependant parcellaires, ce qui souligne le besoin d’études en ce sens. D’autre part, les dispositifs d’aide à distance, qui recouvrent des services interactifs à destination des personnes souhaitant arrêter de consommer du tabac, ont prouvé leur efficacité pour faciliter le sevrage. Les services en ligne (sur des sites internet, des applications mobiles ou les réseaux sociaux dans le cas des groupes d’entraide virtuels) bénéficient d’une acceptabilité particulièrement bonne. Néanmoins, malgré leur plus grande accessibilité et leur positionnement complémentaire aux services traditionnels, leurs usagers ont parfois exprimé des retours négatifs liés à un sentiment d’avoir été jugés par leurs interlocuteurs. Ces dispositifs semblent mieux acceptés lorsque les interactions avec des professionnels sont limitées, soit par un accompagnement assuré par des pairs aidants, soit parce que les échanges prennent la forme de messages écrits (SMS par exemple).

La prégnance de l’idéalisation d’un arrêt autonome, suivi d’une abstinence tabagique et nicotinique par les fumeurs, est associée à des valeurs morales ou des qualités précises : contrôle, dépassement de soi, force morale. L’intériorisation du stigmate tabagique persiste même après l’entrée dans un parcours d’arrêt. Finalement, encore très peu d’études proposent une analyse qualitative et compréhensive des trajectoires et des modalités de sortie du tabagisme.

La seconde partie du document présente des travaux qui mettent en évidence le poids de la position socioéconomique sur l’expérience de sevrage tabagique. En France comme à l’international, le tabagisme et les inégalités sociales de santé qui lui sont associées sont des préoccupations majeures de santé publique. Les personnes ayant un faible niveau de diplôme, un revenu réduit ou en situation de chômage sont plus enclines à fumer. Toutefois, si les pratiques et les représentations des fumeurs sur le tabac divergent selon leur classe sociale, il est important de noter que son stigmate associé est présent dans l’ensemble des groupes concernés et que son expression par les usagers est protéiforme. Les sentiments de honte et d’embarras liés au tabagisme s’expriment dans des espaces différents au regard de la classe sociale, du genre et de l’âge des individus. Les environnements professionnels jouent également un rôle clé dans le maintien ou l’arrêt de la consommation, avec des contextes plus favorables au tabagisme dans les emplois occupés par les personnes des classes populaires. Enfin, certaines recherches mettent en évidence la difficulté pour les personnes en situation de grande précarité d’arrêter de fumer, en raison du coût social du sevrage et d’un rapport au temps qui leur est particulier.

Plusieurs études portant sur des groupes pour lesquels le sevrage représente des difficultés particulières ont été examinées : les femmes enceintes, les personnes atteintes de pathologies psychiatriques et les personnes qui ont vécu une expérience de migration et/ou qui sont exposées à des discriminations.

Les travaux qui s’intéressent aux femmes enceintes fumeuses montrent que les facteurs associés au sevrage tabagique pendant la grossesse incluent un statut socioéconomique élevé, un suivi médical régulier, un statut conjugal stable, une faible exposition au tabac et à l’alcool, ainsi qu’un état moral et psychologique stable. Dans le cas des autres groupes, la littérature montre que les personnes atteintes de pathologies psychiatriques ont une prévalence plus élevée de tabagisme. Le sevrage tabagique peut améliorer la santé mentale, mais il est aussi plus difficile pour les personnes vivant avec ces pathologies, notamment du fait d’une expérience plus intense des symptômes indésirables du sevrage ou d’une insensibilité à la pharmacothérapie dans certains cas. De plus, les soignants se montrent parfois réticents à encourager le sevrage de ces patients. En ce qui concerne les personnes racisées et/ou migrantes, les données sont limitées en France. Les facteurs tels que la précarité administrative, l’isolement et les traumatismes liés à l’expérience de migration semblent contribuer au maintien du tabagisme. Les professionnels de santé ont tendance à hiérarchiser les priorités de traitement et, faute de ressources adaptées, ne considèrent pas toujours le sevrage tabagique comme une priorité pour les personnes migrantes. Le sevrage tabagique chez les populations vulnérables présente donc des enjeux spécifiques pour lesquels les connaissances manquent encore.

Auteur
Isaora RIVIEREZ
Source
Observatoire Français des Drogues et des Tendances addictives

Addictions avec substances
Tabac, E-cigarette
Mots-clés
Grossesse

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